Le retour de la bulle internet

Le retour de la bulle internet

Vous avez aimé l’éclatement de la bulle spéculative, dit « bulle internet », en 2000 ? Vous allez adorer celle qui est en train de se dérouler sous nos yeux.

En 2000, l’indice composite IXIC du Nasdaq avait perdu plus de 2500 points en quelques mois. En un an, le même indice a reculé de plus de 5000 points. Certes, c’est un recul de 25% environ et non de 50% comme en 2000, mais en valeur c’est énorme. Conséquence visible : ça se met à licencier à tour de bras chez les majors de la tech pour essayer de sauver leurs cotations.

Évolution de l'indice composite du Nasdaq depuis 1994 qui montre la formation et le début d'explosion de la nouvelle bulle internet
Évolution de l’indice composite du Nasdaq depuis 1994

La raréfaction de la trésorerie issue des investisseurs commence aussi à avoir des répercussions sévères. La mise en liquidation de la Silicon Valley Bank pourrait bien être le premier acte de la descente aux enfers.

Pourquoi cette croissance ?

Véritable pilier et fer de la lance de la troisième révolution industrielle, le secteur du numérique attise bien des appétits. L’alignement néfaste des planètes favorisant une bulle internet a encore eu lieu :

  1. Politique monétaire : L’accès facile aux liquidités a permis aux investisseurs d’être très actifs, voire aux start-ups de se financer directement auprès des banques. C’est encore plus vrai entre 2019 et 2021;
  2. Politiques publiques : Le secteur, vu comme l’opportunité principale de développement en Occident, est particulièrement soutenu pour favoriser son développement. Le quantitative easing a joué à plein pour inciter les pouvoirs publics à intervenir dans le secteur;
  3. Vision du marché : Il a (encore) bénéficié d’un a priori très favorable avec une surestimation des performances futures en se basant sur quelques « success-stories« ;
  4. B2C : Avec son marché de consommateurs mondialisé captif et cartographié, le bout de la chaîne numérique a toujours été un facteur de confiance. La dynamique de croissance du e-commerce reste forte.
  5. Pandémie : Les restrictions sanitaires ont largement favorisé le recours à des solutions numériques (télétravail…). Beaucoup ont alors cru que la bascule était irréversible et allait alimenter une croissance ininterrompue.

Ce contexte a tant facilité les choses que la création d’une start-up faisait presque partie du cursus obligatoire après une grande école.

La faute à qui ce coup-ci ?

Sauf qu’encore une fois, l’euphorie a été douchée par la réalité :

  1. La crise des composants électroniques n’a toujours pas été surmontée. La hausse des prix, entre 10 et 50% selon les matériels en 2022, vient directement peser sur les investissements et les charges, notamment dans le cloud.
  2. Face à l’inflation, les taux directeurs ont été relevés. L’accès à la trésorerie est donc devenu plus difficile et plus coûteux;
  3. Les États sont de moins en moins enclins à continuer à creuser les déficits et le robinet des avantages fiscaux et des subventions se tarit;
  4. De nombreux scandales ont secoué le secteur du numérique, érodant la confiance. Le coup de grâce a sans doute été porté par les crypto-monnaies qui s’appuient sur la blockchain. Après la multiplication des arnaques sur les NFT depuis leur généralisation en 2021, le scandale FTX fin 2022 a porté un coup sévère au secteur;
  5. L’internaute consommateur est de plus en plus demandeur de reprendre le contrôle sur la visibilité et l’usage de ses données personnelles;
  6. Une certaine saturation sur le ciblage publicitaire commence également à émerger.
  7. Le télétravail, bien que bénéficiant toujours d’une bonne image, est quasiment revenu à son niveau prépandémique.

La hype des réseaux sociaux et des plate-formes de streaming gratuites à largement alimenté cette nouvelle bulle internet depuis 2010. Basé sur la valorisation des données personnelles collectées lors de l’utilisation de ces services, un gigantesque marché s’est créé. Il promet un ciblage parfait, un taux de conversion optimal et un ROI exceptionnel aux annonceurs.

Une bulle internet complètement dégonflée ?

A court terme, on voit mal comment les tensions internationales pourraient se résoudre. Les marchés des composants électroniques et de l’énergie sont durablement perturbés.

Même si les annonces de restructuration dans la big tech avaient pu stabiliser un peu les cotations, la tendance baissière a repris. Les prochaines décisions concernant le secteur bancaire seront déterminantes sur le rythme du collapsus. Une forte accélération est loin d’être exclue.

Dans l’intervalle, le recours à des levées de fonds et au financement bancaire s’annonce très difficile pour les start-ups, déjà malmenées depuis le deuxième semestre 2022.

Vers un changement de fond des mentalités ?

Sur le moyen terme, la défiance envers les bases du modèle économique actuel continue de progresser. L’arrivée du RGPD a été un des catalyseurs de cette tendance.

La sensibilité à une bonne gestion des données personnelles a augmenté alors même que la Commission Européenne veut devenir un acteur du marché des données personnelles. C’est particulièrement redoutable quand on sait qu’elle prépare une identité numérique européenne.

Pour autant, et c’est paradoxal, la plupart des internautes continuent de souscrire à des offres et des services rentabilisés par leurs données personnelles. Inconséquence ou contrepartie consentie ? Le temps le dira.

Des entreprises ont d’ailleurs commencé à mettre prioritairement en avant une certaine éthique sur la collecte et l’usage des données personnelles. Même si le thème se faut plus discret dans le contexte actuel, l’inflexion des mentalités semble trop importante pour s’inverser. La fin du ciblage publicitaire serait ainsi un coup sévère porté à la big tech.

Enfin, il ne faut pas non plus négliger les sempiternels scandales sur les fuites de données personnelles, comme encore récemment la mise en vente sur le dark web d’un million de conversations téléphoniques avec des services clients francophones. Ils peuvent aussi être un facteur de défiance.

Indépendamment de leur usage, la prévention des risques liés à la sécurité des données est clairement l’enjeu majeur de la décennie actuelle et de la confiance dans le numérique.

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